Lettre à Jimmy est une longue épître (elle comporte dix chapitres, en plus d’une « avant-lettre » et d’une « après-lettre ») que le romancier congolais et lauréat du Renaudot 2006 Alain Mabanckou adresse à James Baldwin (1924-1987) à l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort.
L’intérêt que présente ce livre est multiple. D’une part, il dresse le portrait d’un des ténors de la littérature afro-américaine et nous persuade, avec éloquence et empathie, « de la nécessite de [le] lire ou de [le] relire aujourd’hui », fût-ce ses romans, tel La chambre de Giovanni (1956), ou ses essais, comme La prochaine fois, le feu (1963). D’autre part, le livre de Mabanckou propose une réflexion bien étayée sur l’héritage baldwinien, le traitement de l’Histoire et les questions d’intégration et de ségrégation depuis 1987. Lui-même enseignant dans une université californienne, Mabanckou s’appuie sur son expérience de l’Amérique, de la France et de l’Afrique pour dresser un état des lieux de la « négritude » au fantôme de Baldwin, auquel il a donné la forme moins ésotérique d’un vagabond de Santa Monica. On s’en doute : Lettre à Jimmy vaut aussi comme document sur Mabanckou lui-même. Le livre renseigne presque autant sur l’auteur du portrait que sur l’auteur portraituré.
Le lecteur appréciera ce tour guidé dans la vie de Baldwin, de Harlem et Greenwich Village à Paris et la côte d’Azur. Certains chapitres ont une intensité particulière. C’est le cas avec celui évoquant les rapports difficiles entre James et son beau-père. On peut également penser au chapitre où Mabanckou relate l’adulation du maître – Richard Wright, premier écrivain noir à avoir écrit un roman à succès (Un enfant du pays, 1940) -, suivie de son assassinat symbolique avec l’essai « Une opposition complice ». Derrière Mabanckou essayiste, on voit plus souvent poindre le conteur que l’universitaire. On chercherait longtemps les fausses notes, l’auteur d’African Psycho donnant une fois de plus la mesure de son talent.