Rien du surhomme chez le policier Wallander si ce n’est, mais peut-être est-ce là un exploit aussi surhumain que le travail de Sisyphe, un dévouement quotidien et héroïque à une certaine conception de la vie en société. Wallander a tout contre lui, depuis une pudique solitude jusqu’au travail de sape que mène en lui un diabète négligé et vengeur. Il n’a donc nul besoin du meurtre d’un collègue, ni de la disparition de trois jeunes, ni de l’exécution d’un couple marié du matin, nul besoin d’un meurtrier diaboliquement renseigné et aussi insaisissable qu’un pur esprit. Wallander, pourtant, roule son rocher.
Ce policier appartient au sombre univers protestant qu’ont évoqué Bergman, Sjöberg ou Wijkmark. Le mal est là, puissant, à deux doigts de la victoire. Peut-être même, dans cette Suède que Wallander juge en rupture de valeurs, le mal est-il sur le point d’abattre avec fracas la société de droit. Wallander, en proie au doute, roule quand même son rocher. En réponse aux questions d’un jeune garçon qui rêve de devenir policier, il avouera ses peurs, ses remises en question, mais il lui révélera aussi le secret de sa persévérance : son désir d’être, tout simplement, un bon policier.
Le bouquin, dense, lourd, voire étouffant, envoûte tellement qu’on lui pardonne une fin peut-être incomplète. Puis, à y bien penser, on comprend que Wallander n’a pas besoin de tout comprendre pour continuer.