Conteur, dramaturge, poète et chroniqueur, Vinceslas-Eugène Dick (1848-1919) fut surtout connu comme romancier. C’est ce dernier aspect de l’œuvre qui intéresse depuis plusieurs années Rémi Ferland : en 1998, celui-ci faisait paraître en édition critique Une horrible aventure (1875) et il nous offre aujourd’hui L’enfant mystérieux, livré d’abord en feuilleton en 1880-1881 ; il prépare actuellement la publication de Vinceslas de Calonne ou L’amante vengée (1865) en annexe à l’édition du Roi des étudiants (1876).
Roman de mSurs et, surtout, d’aventures, L’enfant mystérieux raconte essentiellement les démarches criminelles de l’envieux Antoine Bouet pour entrer en possession de l’héritage de son frère aîné Pierre, qui est sans enfant. Mais ce dernier veut bientôt léguer son bien à sa fille adoptive, Anna Walpole, que le hasard d’un naufrage, à trois mois, lui a laissée entre les mains et dont il assume la responsabilité depuis maintenant dix-sept ans. Après toutes sortes de menées crapuleuses, la manœuvre d’Antoine échoue, Anna retrouve ses parents naturels, qui sont très fortunés, puis épouse l’homme qu’elle aime, tandis que les enfants d’Antoine et de sa femme Eulalie deviennent les héritiers de Pierre, décédé depuis peu. Le bien est ainsi récompensé et le mal, puni, en conformité avec la tradition romanesque québécoise du XIXe siècle.
En plus de ce manichéisme marqué, L’enfant mystérieux affiche les multiples procédés convenus du temps : pressentiments réalisés, conversations épiées, évanouissements, enlèvements, séquestration, délivrance, meurtres et tentatives de meurtre, suicide même, déguisements, intervention du hasard…, le tout dans un contexte où se multiplient les coups de force narratifs et où la vraisemblance est mise à rude épreuve. Comme la plupart des œuvres qui lui sont contemporaines, le roman a une importance moins littéraire qu’historique et documentaire, quoique la plume de Dick, humoristique à l’occasion, offre parfois de bons moments.
Rémi Ferland a procédé à l’édition critique de l’œuvre avec une énergie et une efficacité renouvelées en accompagnant les 261 pages du roman de pas moins de 104 pages de notes et de variantes. Il y expose méticuleusement les différents états du texte et renseigne abondamment sur une foule de sujets convoqués par le récit : des mythologies grecque et romaine aux anguilles de l’île d’Orléans, de la consommation québécoise de rhum au XIXe siècle à l’or de la Californie, des débuts de la navigation à vapeur à l’émigration irlandaise, des danses d’autrefois, avec violoneux, aux activités des globe-trotters de l’époque… On pourra regretter que l’aspect extérieur du livre n’ait pas joui d’une attention aussi minutieuse, mais la qualité et la profondeur du travail de l’éditeur critique commandent l’admiration du lecteur.