À l’heure où la langue de bois néolibérale gagne la planète entière, grâce à des médias presque unanimement complices et à des gouvernements complaisants, il y a quelque chose de réconfortant à voir un professeur de management comme Omar Aktouf remettre en cause avec rigueur et verve les lieux communs de cette « politique de l’autruche » qui repose sur une fuite en avant sans âme ni même intelligence.
Il est vrai que ce professeur n’est pas du bois dont on fait les universitaires complices : il s’en prend, au contraire, avec vigueur aux trop fameux MBA* à l’américaine, troupes de choc de la folie économique actuelle. Homme de culture et humaniste, il s’appuie sur Aristote qui a mis en opposition « chrématistique », accumulation forcenée de richesses (ça vous rappelle quelque chose ?), et « économie » au sens propre du mot grec qui veut dire gestion et répartition des ressources. Il ne craint pas, non plus, d’invoquer Karl Marx ; quiconque n’est pas aveugle voit bien tous les jours que son œuvre est bien plus d’actualité, aujourd’hui où son nom est devenu presque obscène, qu’aux temps où tant d’intellectuels qui ne l’avaient même pas lu en faisaient une icône de la pop culture.
Omar Aktouf dénonce la mathématisation, d’autant plus péremptoire qu’elle est sommaire, de l’économie. Au nom de la conscience et des finalités de l’être humain, certes, mais aussi de la rigueur même de sa discipline, bafouée par les raccourcis de l’idéologie.
S’inspirant des lois de la thermodynamique, il montre que le modèle économique actuel repose sur des postulats impossibles, entre autres celui de la croissance illimitée. Mais ce dénonciateur lucide et engagé garde un certain optimisme, au point même de faire preuve d’un angélisme teinté de rectitude politique, quand il évoque, par exemple, l’équivalence des intelligences et l’universalité des bonnes volontés au sein de l’entreprise à gestion participative.
Toujours clair et la plupart du temps convaincant, écrit dans une langue très sûre et même élégante, ce livre majeur devrait être lu, toutes affaires cessantes, par ceux de nos hommes politiques qui savent encore lire.
Ou, du moins, par tout honnête homme.