Depuis quelques années, il se produit au Québec moult manuels de philosophie destinés aux étudiants de niveau collégial. Mais le grand public, qu’un travail de réflexion systématique intéresse, aurait tort de bouder son plaisir en ignorant ces livres, dont certains, comme Entre bonheur et liberté de Claude Veillette, par exemple, méritent le détour.
En mettant en parallèle Emmanuel Kant, l’Allemand, et Jeremy Bentham et John Stuart Mill, les Anglais, représentants de l’utilitarisme, Claude Veillette fait ressortir deux conceptions divergentes de l’usage de notre liberté : une qui mettra l’accent sur les exigences rationnelles de l’action dûment réfléchie, tout en mettant de côté la recherche du bonheur, et une autre qui voit dans le bonheur le mobile derrière toute action.
À une époque qui semble se vautrer uniquement dans un hédonisme purement matérialiste, il n’est pas inutile de réfléchir, avec Kant, aux apories inhérentes à une notion de liberté sans contrainte. L’auteur, s’inspirant de Kant, nous rappelle que « l’homme est d’autant plus libre qu’il comprend l’universalité de certaines contraintes ». La volonté humaine étant faible, le plus souvent au service de ses instincts et caprices, il incombe donc à la raison de pallier ses manques.
L’éthique de Kant est austère. Elle repose sur des impératifs catégoriques, des absolus qui ne tolèrent aucune condition, des principes difficilement applicables. Malgré tout, il faut savoir gré de bien des choses à Kant, surtout de ceci : la personne demeure l’absolu, sa dignité ne se marchande pas. « Il n’est pas exagéré de dire du principe kantien de respect d’autrui qu’il incarne l’esprit même de la Déclaration universelle des droits de l’homme. »
Mais tout n’est-il pas, au fond, qu’une question d’intérêt bien entendu ? Alexis de Tocqueville voyait dans l’utilitarisme la philosophie la mieux adaptée à notre temps, une philosophie où l’égoïsme des uns est tempéré par l’égoïsme des autres, où le bonheur devient l’objectif suprême de la vie.
Claude Veillette ne se contente pas de présenter sèchement ces deux courants de pensée. Il en montre les forces et les faiblesses, il les situe dans le contexte de l’histoire des idées. Des présentations fort utiles d’autres penseurs émaillent tout son livre. En bref, si certains professeurs de philosophie, ou toute autre personne que la question intéresse, se demandent comment s’initier intelligemment à l’histoire de la pensée éthique et politique, le livre de Claude Veillette est tout indiqué.